Pourquoi la Commission européenne voit rouge contre Twitter ?

La Commission européenne, via Thierry Breton, son commissaire au marché intérieur, vient d’informer Twitter qu’elle pourrait l’interdire Europe si la plateforme ne se conformait pas à ses obligations en termes de modération, comme le prévoit le Digital Services Act.

Il appelle son nouveau patron, Elon Musk, à rassurer quand à la capacité de Twitter qu’il dirige d’assurer transparence et lutte contre la désinformation, et ce, dès l’année prochaine.

La Commission craint que Twitter, au nom de la liberté d’expression absolue souhaitée par son nouveau patron, soit un nouveau carrefour de tous les travers de cette liberté d’expression avec les complotistes, les conspirationnistes (anticovid notamment), et ceux incitant à la haine en ligne.

Un rapport de la Commission a déjà montré une baisse de la suppression des contenus haineux depuis le rachat par Musk. L’Arcom l’avait déjà rappelé en France à ses obligations.

Cette annonce fait suite à plusieurs événements qui ont suscité cette forte réaction.

Quels sont-ils ?

Au 27 octobre, Twitter est racheté par Elon Musk pour 44 milliards de dollars qui entend “libérer l’oiseau”.

Il licencie immédiatement alors une partie de l’équipe modération qui affecte encore (volontairement ?) l’effectivité de la modération connue avant son arrivée.

Un licenciement est particulièrement marquant, celui de Vijaya Gadde, l’ex-responsable des affaires publiques qui avait poussé à bannir de la plateforme l’ancien président des États-Unis Donald Trump, suite à l’assaut sur le Capitol à Washington.

Trump est maintenant de retour.

Au terme d’un sondage sur son propre compte (“Vox Populi, Vox Dei.”), Elon Musk annonce le retour du compte de Donald Trump sur le réseau, qui le remercie en retour.

L’ancien président américain avait vu son compte au plus de 80 millions d’abonnés suspendu suite à l’assaut de ses partisans sur le Capitol après la victoire de son adversaire démocrate et qui avait conduit à la mort de plusieurs manifestants. Il avait alors été suspendu pour éviter toute incitation à la violence, décision également prise par Facebook et Youtube.

Cette décision tombe à point nommé pour Donald Trump qui annonce se lancer dans la course à la prochaine élection présidentielle aux États-Unis.

Il a été accusé de véhiculer de nombreuses désinformations notamment au sujet du covid19 et d’inciter à la violence, par exemple en déclarant que les élections lui avaient été volées, sans apporter de preuve …

Son compte n’est toutefois pour l’instant pas utilisé car ce dernier a lancé entre temps son propre réseau social.

De nombreux comptes qui avaient été bannis ou suspendus précédemment sont eux aussi accessibles de nouveau.

Elon Musk a affiché des positions jugées pour beaucoup très pro-russes dans un contexte de grandes tensions internationales suite à la guerre en Ukraine .

Il a suggéré par exemple, à la suite d’un sondage sur son propre compte, que l’Ukraine accepte des concessions territoriales face à la Russie. Le milliardaire, propriétaire également de Starlink, fournisseur de réseau internet par satellite, très utilisé en Ukraine, notamment par l’armée ukrainienne, où les réseaux sont très endommagés, a annoncé vouloir arrêter de financer ce service. Il est par la suite revenu sur cette décision. Ces 2 positions sont jugés favorables à la Russie par de nombreux experts.

On attribue à la Russie de nombreuses campagnes de désinformations, d’influence en ligne, notamment de nature politique dans le cadre d’élections comme l’a reconnu sur des fils Telegram le désormais officiel fondateur du groupe Wagner, Evgueni Prigojine,
(« nous interférons, et nous interférerons encore »).

L’influence passe notamment par le recours à l’ouverture de nombreuses fermes de “trolls” (entreprises ouvrant de faux comptes à des fins de propagandes) sur les réseaux sociaux et notamment sur Twitter.

Cette influence est d’autant plus grande après l’interdiction dans l’Union européenne des médias financés par la Russie, Russia Today et Sputnik

La Commission européenne peut craindre que Twitter deviennent un lieu de propagande entièrement ouvert aux intérêts russes.

Twitter a annoncé dans un communiqué qu’à partir du 23 novembre, il n’appliquera plus son règlement contre la désinformation du covid mis en place durant la pandémie pour lutter contre les théories conspirationnistes.

Il prévoyait de pouvoir signaler et retirer les messages contre la vaccination et le bannissement des comptes auteurs de ces messages.

Là encore, les positions de Musk sur les mesures durant la pandémie ont été très critiques, notamment pour avoir occasionné la fermeture d’usines Tesla. Il a jugé ses mesures comme étant “fascistes”.

Dernier point qui a dû inquiéter la Commission, Twitter a souhaité rendre payant l’attribution des badges de certification à 8 $ par mois. La plateforme a déjà reculé sur les utilisateurs étant soumis à cette tarification ( à priori les personnes ayant déjà un badge ne devrait pas avoir payer).

Les spécialistes craignent que ce système entraine un afflux de faux comptes utilisables pour la désinformation ou la haine en ligne.

Twitter sur ce point ne cesse de retarder le début de l’opération, traduisant un basculant de son business model, alors que les recette publicitaire s’effondrent.